- Fabien -


On se souviendra sans aucun doute de notre arrivée au Myanmar.


Après une excellente nuit de sommeil (pas de moustique, miracle !) et un petit déjeuner copieux face à la pagode Sule, nous partons sillonner la ville et en particulier sa principale attraction touristique, la pagode Shwedagon, que nous n'avons pas pu visiter le jour d'avant, faute d'avoir oublié nos bas de pantalons...


Nous sautons (littéralement) dans le premier bus local sur notre passage après que le contrôleur nous ait confirmé la direction d'un hochement de tête. Pour l'instant, impossible pour nous de décoder le numéro de la ligne ou quoi que ce soit qui nous permettrait de le déduire. Il faut dire que nous sommes arrivés les mains dans les poches et, ici, contrairement à l'Inde, tout (ou presque) est indiqué en alphabet birman. Nous allons donc devoir nous plonger au plus vite dans la langue locale...et c'est pas plus mal !



Exemple concret vingt minutes plus tard quand le bus nous dépose à environ 1km du site. Bon, pas grave, c'est l'occasion ou jamais de zigzaguer à travers les ruelles et découvrir véritablement le quotidien des habitants.


Tout d'abord, et il faut l'avouer, nous ne pensions pas voir d'aussi jolies femmes au Myanmar. La plupart se badigeonne le visage de thanaka, une crème jaune pale fabriquée à partir de l'arbre du même nom. C'est pas très esthétique mais ça protège du soleil, de la transpiration (Thibaut l'a testé et approuvé !) et c'est sûrement ce qui explique en partie leur peau magnifique.



À l'angle d'une rue, un vendeur de jus de canne nous interpelle...en français ! Surpris, nous entamons une discussion avec lui. Il nous apprend qu'il prend des cours de français à l'Alliance Française de Yangon depuis quelques mois avant de nous amener, par je ne sais quel tour de passe-passe, dans le monastère situé juste derrière son échoppe.


Ne sachant pas du tout quel comportement adopter dans ce genre de lieu de culte, nous entrons d'un pas hésitant avant d'être rejoints par un jeune moine, enthousiaste à l'idée de communiquer avec nous.



Il s'appelle Sandobhasa, il a 19 ans et étudie à Yangon depuis quelques mois. Nous entamons une discussion sur le fonctionnement du monastère tout en visitant les lieux. Cela ressemble à un village miniature. Les personnes âgées squattent les bancs en lisant le journal, les enfants jouent dans la cour tandis que les moines se lavent au seau juste à coté. Nous entrons finalement dans une pièce où sont assis en cercle sept moines. "Attendez-ici", nous dit le jeune étudiant. Pourquoi ? On ne sait pas. En fait, depuis notre conversation avec le vendeur ambulant, nous avons du mal à réaliser ce qui se passe, comme si nous ne contrôlions pas le cours des événements. Nous patientons 5..10..20 minutes lorsqu'un moine, bien plus jeune, nous tend une assiette de biscottes au beurre et une autre pleine de chips. Ils savent accueillir leurs hôtes !



On croit comprendre qu'il veut nous présenter quelqu'un mais cette personne semble absente. Une fois encore, nous ne savons ni de qui il s'agit, ni pourquoi nous devons la rencontrer. "J'ai des choses à faire, je dois aller à la banque, revenez vers 18h". C'est noté !


Après une bonne heure improvisée, nous nous rendons à la pagode qui n'est qu'à quelques centaines de mètres.


Le site est immense ! Nous comprenons que nous sommes sur le point de visiter un des plus vieux et plus beaux sites bouddhique du Myanmar et peut-être du monde. Le stûpa central, haut de 98 mètres et recouvert de 700 kg d'or, est éblouissant, sans compter les nombreux bouddhas et autres édifices, plus dorés les uns que les autres, qui l'entourent. L'endroit mérite qu'on y passe tout un après-midi.



Nous effectuons le tour dans le sens des aiguilles d'une montre. À défaut de croiser des touristes occidentaux (basse saison oblige), nous sommes surpris par le nombre de locaux présents. Certains déjeunent en famille, d'autres méditent, lisent, ou effectuent leur sieste dominicale à l'ombre, protégés par la toiture dorée des temples. Car la pagode n'est pas uniquement un lieu de recueillement, c'est aussi un lieu situé au coeur de la vie sociale des birmans.


Nous, on s'y sent bien. L'ambiance est bon enfant et une atmosphère particulière, pleine de sérénité, se dégage du site.



Par peur d'en manquer un morceau, nous parcourons minutieusement le site, lorsque nous passons près d'un temple où est assise une femme en train de se restaurer. Comme à notre habitude, lorsque nos regards d'étrangers croisent ceux des locaux, nous sourions. Elle sourit à son tour et, d'un geste du bras, nous invite instinctivement à nous asseoir à ses cotés. La situation étant peu commune dans nos coutumes nationales, nous prenons quelques secondes de réflexion : "Elle nous invite à manger nan !?", s'interroge Thibaut.


La journée est partie sur les chapeaux de roue, on ne va pas s'arrêter là ! Nous nous installons dans le cercle.


En découlent plus de trois heures de conversation, ponctuées par une bonne dizaine de tasses de thé. Dans un anglais correct, elle nous parle des coutumes de son pays, de l'ouverture au tourisme, de la difficulté pour les birmans de sortir du territoire, de son engagement en politique auprès du parti démocratique, de nos différences culturelles...mais aussi de sa vie personnelle (et de son amour de jeunesse, néerlandais !).



Ohnmar de son nom (qui signifie "une femme si belle qu'elle en rend les hommes fous" en birman, ça ne s'invente pas !) nous donne finalement son adresse et son numéro de téléphone au cas où nous aurions besoin d'aide pour nous loger. Avant de partir, son ami (qui, malgré son impossibilité de comprendre un seul mot d'anglais, est resté là, attentif, et nous servait du thé à chaque fois que notre tasse était vide) nous montre un bouddha aux yeux de verre, le seul du site. Alors que l'air s'adoucit et que le soleil descend lentement, nous quittons les lieux, heureux d'avoir eu notre premier échange enrichissant avec la population locale.


Nous mangeons rapidement en route avant de retourner au monastère rencontrer notre ami le moine. Nous entrons comme si nous étions de la maison avant de nous faire gentiment questionner par un autre moine du même âge : "Qu'est ce que vous faites ici ?", nous demande-t-il. Nous essayons de lui expliquer tant bien que mal notre venue de ce matin mais, naturellement, il ne connait pas son collègue. Malgré l'apparence d'une grande famille, tout le monde ne se côtoie pas ici. Persuadé de notre bonne foi, il nous emmène au premier étage. On ne sait toujours pas pourquoi, mais c'est pas grave, on suit !


Une porte s'ouvre. Un moine d'une quarantaine d'années nous accueille. Fauteuil allongé, écran plat accroché au mur, pièce meublée. Ça ne fait pas l'ombre d'un doute, il doit s'agir du chef des lieux, du headmaster comme ils disent.

- "Pour combien de temps êtes-vous à Yangon ?"

- "2 jours."

- "Mmm..OK."

Il s'éclipse dans la pièce d'à coté et revient avec une carte de visite pour des cours d'anglais.

- "Venez demain matin à 7h30. Il y a un cours de conversation en anglais avec des étudiants birmans."


On se regarde, assez dubitatifs mais toujours aussi intrigués. Nous lui posons quelques questions sur le cours avant d'accepter volontiers d'y participer. Évidemment, on aurait préféré parler dans notre langue maternelle mais ce sera au moins l'occasion d'en savoir un peu plus sur la jeunesse locale. Soudain, il sort son téléphone portable, compose un numéro et me tend l'appareil.


- "Mais c'est qui ?! ", lui dis-je, pris de court. Thibaut délire à coté.

- "Bah le prof'", me rétorque-t-il.

- "Euuuh oui bonjour, je suis au monastère en compagnie de....(je demande au moine son prénom)...mon ami et moi voudrions participer au cours d'anglais demain matin à 7h30. Est-ce possible ?"

- "Avec plaisir !", me répond-il enchanté.


Notre programme de demain prend une tournure imprévue. Nous continuons d'échanger quelques mots avec lui. Il nous déclare qu'il vit ici depuis plus de 25 ans et qu'il donne des cours, notamment de méditation à ses élèves moines. C'est pas tous les jours qu'on a l'occasion d'approcher de si près le responsable d'un monastère bouddhiste alors une petite photo s'impose !



Sur le chemin du retour, nous apercevons trois jeunes en train de jouer au shinlon, le sport de rue national au Myanmar. Cela se joue avec une petite balle en rotin ou bambou tressé, le but étant de taper la balle avec le pied, chacun son tour, sans la faire tomber (un peu comme une brésilienne pour les experts footballistiques).

Nous leur demandons gentiment si nous pouvons nous joindre à eux. Aussitôt dit, aussitôt fait...même si c'est pas facile de rivaliser !



Nous retournons rapidement à l'hôtel chercher de quoi se couvrir pour ensuite aller déguster de bons petits plats dans le quartier chinois. Le soir, la ville est bien plus animée de ce coté-ci. Sur des centaines de mètres, les étales de fruits et légumes se mêlent aux odeurs de brochettes grillées.



Nous finissons la soirée dans 19th street, LA rue pour dévorer un bon barbecue ou sortir boire une bonne bière locale. Malheureusement, tous les bars sont pleins et les places manquent.


Chose que nous n'avions pas forcément remarqué auparavant, la plupart des jeunes passent leur temps scotché sur leur téléphone, même entre amis, passant de Whatsapp à Facebook. Il faut dire qu'il y a encore 4 ans, Internet était encore très limité et la plupart des services mail ou de communication instantanée bloqués. Ceci explique peut être cela...


Nous nous asseyions finalement au coté d'un jeune birman qui nous accepte à sa table avec pour seule compagnie non pas son portable mais une Myanmar beer, la bière nationale. Nous commandons la même chose et commençons à discuter. Il vient de terminer ses études d'informatique et a déjà trouvé un bon job dans une université en ville. Il a 24 ans et est très sympa. Pourquoi pas s'organiser une petite soirée ? Notre "sevrage" depuis l'Inde pourrait s'arrêter plus tôt que prévu ! Nous verrons cela à notre retour dans trois semaines.



Il est 23h passé, nous rentrons tranquillement à l'hôtel, exténués par cette première journée mais avec le sentiment d'être à Yangon depuis déjà deux semaines.


- Thibaut -


Il est 6h40. Il fait encore doux dans la pièce où nous prenons le petit-déjeuner. Fabien trempe copieusement ses toasts dans le café au lait pendant que je tire un peu la tête en voyant la confiture aux fruits rouges qui m'attend. Dans 50 minutes, nous participerons à notre premier cours de conversation... anglaise ! Ce n'était pas prévu au programme, mais, comme toujours depuis le début de cette aventure, nous sommes à la recherche de nouvelles expériences. Chemise enfilée pour moi, t-shirt plus décontracte pour Fabien, nous nous dirigeons, plein d'énergie, vers l'école privée où nous avons rendez-vous avec le moine du monastère.


Sur le chemin, ce dernier nous repère, nous court après, et m'attrape carrément le bras par derrière : "- Booouuuuh !" me fait-il avec un grand sourire. Il respire la joie de vivre. Nous faisons donc la fin du chemin ensemble et découvrons Yangon au petit matin, échoppes fumantes et agitation humaine mais sans précipitation. Soudain, sans crier gare, notre nouvel ami nous arrête : "- C'est ici ! Voilà. Au revoir !", puis disparait dans le flow matinal des gens rejoignant leur lieu de travail. Quelques étudiants, sacs en bandoulière, sont déjà sur place et semblent attendre patiemment sur le trottoir. L'un d'entre eux nous demande alors de le suivre, ce que nous faisons sans nous poser de question... puisque nous ne savons à ce moment-là, ni à qui nous devons nous présenter, ni où nous devons aller, ni ce que nous allons devoir faire...


L'école est dans un bâtiment étroit mais haut, coincé entre une épicerie et un vendeur de téléphones/boissons gazeuses (allez savoir pourquoi ?!?). Nous montons donc deux étages en ascenseur et pénétrons dans la salle de classe, une salle un peu vieillotte, certes, mais agencée comme chez nous (Fallait-il s'attendre à autre chose ?! Tout ne peut pas être différent!). Une allée centrale sépare deux rangées de bancs en bois et de tables de même longueur. Le professeur, un homme d'une cinquantaine d'années, trapu et portant des petites lunettes rondes, nous attend à l'entrée. Sans un mot, il se met à pointer deux endroits différents dans la salle... " -Heuu, on doit se séparer c'est ça ? Ok." Nous haussons les épaules. Je me dirige vers l'avant de la salle pendant que Fabien prend place au milieu. Naïvement, je m'installe face au tableau mais le professeur ne l'entend pas de cette oreille. Il me tape gentillement sur l'épaule et me demande d'enjamber le banc de classe : " - Heuuu, ouiii, ce ne sera pas très confortable dans cette position mais encore une fois, pourquoi pas :-) ". Puis, il se met à repartir les étudiants présents en deux groupes : sept prennent place autour de moi, sept autour de Fabien. Toujours sans un mot, il se dirige vers son bureau, se sert un bol de café et ouvre en grand le journal du jour... -Petit moment de solitude- Je réfléchis à toute vitesse ; le cours de conversation auquel nous devions participer... qu'est-ce que c'est au juste... on a peut-être mal compris.. c'est vrai que le moine était assez dur à piger... en faite, ce cours, c'est nous qui devons le donner !! Mais, on est pas prêt ! C'était pas comme ça que c'était censé se passer. Fabien a beau être à quelques mètres de moi, je sais qu'il est dans la même situation de perplexité. Je sens le regard des étudiants de mon groupe me dévisager. Aucun doute possible, ils attendent que je commence le cours de conversation. Bon ben, je me lance : " - Bonjour à tous ! dis-je avec mon sourire le plus radieux. Je vais commencer par me présenter, et puis, je vous demanderai de faire de même, à tour de rôle..." . S'en suivent près de 2h de dialogue en anglais très enrichissantes, chaque étudiant développant plus ou moins leurs réponses en fonction de leur niveau dans la langue de Shakespeare. Nous abordons des thèmes variés comme le pays où ils aimeraient voyager, leurs plats préférés, leurs projets professionnels mais c'est aussi l'occasion de parler des conditions d'éducation dans leur pays, l'ouverture des frontières, le tourisme, et le marché du travail. Je partage mes compétences en anglais et apprends beaucoup sur leur vision de leur propre pays. Je me rends compte à quel point le pays évolue vite et les mœurs avec. Ils ont entre 19 et 30 ans et me tiennent un discours étonnamment libre et engagé.


Le gong sonne. Certains partent précipitamment car ils travaillent dans la foulée. Les autres nous consacrent volontiers quelques secondes supplémentaires, le temps d'une photo. En sortant, le professeur retrouve l'usage de la parole pour nous glisser : "Vous êtes libres à 10h30 ? Ce sera un cours complet avec d'autres étudiants." "- Désolé m'sieur ! On décolle pour Kalaw dans 2h ! Mais ce sera avec plaisir à notre retour ! Good bye !"