- Thibaut -


Sous une chaleur étouffante, après avoir sifflé chacun un succulent milkshake à la banane, nous partons flâner tranquillement dans les rues de Pondichéry en ce début de mars 2015. Une fois n'est pas coutume, nous logeons dans une magnifique auberge tenue par des indiens, au beau milieu du quartier musulman. À notre grand étonnement, nous y serons quasiment les seuls clients durant toute la durée de notre séjour pondichérien. Mais revenons à notre promenade. Comme l'expérience nous l'a maintenant appris, nous restons alertes aux rickshaws, vélos, taxis, camions, vaches, chèvres qui manquent de nous renverser à chaque pas. Et puis, au détour d'un petit canal asséché qui a l'air de séparer la ville en deux,  nous tournons à droite. " -Hepa mec, vise un peu cette baraque juste-là !" s'exclame l'un d'entre nous. " Et regarde le nombre de balcons ! Et son petit jardin ! Et le patio avec les arbres tropicaux, la classe ! Jette un peu un oeil sur le guide pour voir où l'on est." Nous nous asseyions un instant, contents de s'accorder une petite pause lorsque le soleil est trop fort. Toujours à la même place dans notre sac qui ne nous quitte jamais, notre guide de voyage, qui parait maintenant dater de la décennie antérieure, nous apporte la réponse.



" - J'ai l'impression qu'on vient de pénétrer dans le quartier français ! Le quartier blanc comme ils disent." dit Fabien. Nous levons la tête et regardons autour de nous. Le calme, peut-être le premier depuis ces 40 derniers jours, nous saisit. L'impression d'avoir atterris ailleurs qu'en Inde nous envahit. Autour de nous, ce ne sont que de longues avenues bordées d'arbres, de belles demeures aux couleurs pastelles, des villas plus luxueuses les unes que les autres, des trottoirs pour circuler à son aise, des rues qui portent des noms... on se croirait presque dans le sud de la France !



Ici, le temps semble s'être littéralement arrêté dans les années 20, lorsque, celle qu'on appelle communément "Pondi", était alors un comptoir colonial français. Et, avec un peu d'imagination, on pourrait presque voir déambuler en calèche la petite bourgeoisie de l'époque, juste là, au coin de la rue Romain Rolland...



... une bourgeoisie venue de France, qui serait à Pondichéry pour prendre un peu de bon temps et voir comment vont leurs affaires d'épices et de tissus. Après avoir pris une glace bien fraîche sur la petite croisette du bord de mer que les indiens aiment appeler " la promenade ", ils iraient rejoindre leur agréable l'hôtel de l'Orient pour refaire le monde et fumer un bon cigare.



" - Thibaut, Thibaut, reviens parmi nous !" Fabien me tire de mes songes. La chaleur m'a un peu étourdi et je pensais à voix haute. Nous sommes maintenant à la terrasse d'un café, oui, vous avez bien lu, à la terrasse d'un café ! " - deux diabolos citron s'il vous plait, demandons-nous simplement en français, sans prendre la peine de détacher les syllabes ou d'articuler à s'en déboîter la mâchoire. Bien que la serveuse soit indienne, notre intuition a été la bonne. Près de 10% de la population locale est francophone ! À peine a t-elle fait demi-tour que nous lui crions " Et le mot de passe du Wi-Fi si possible, merci !"



Nous nous mettons à discuter frénétiquement. Pondi ci, Pondi ça. Nous invitons un français assis à la table d'à côté à nous apprendre tout un tas de choses sur l'architecture, l'histoire, et le présent de ce petit bout de France. Animer d'une excitation nouvelle pour cette ville qui nous rappelle nos racines, pour cette ambiance légère qui y règne, pour cette influence du passé français, nous partons en direction de l'Alliance Française, décidés à en savoir plus sur les événements qui s'y organisent et comment y participer. 



Si mes souvenirs sont bons, le bâtiment date du siècle dernier. Un badge visiteur autour du coup et nous entrons dans cet espace, symbole du rayonnement de la langue française à l'étranger. Après avoir fait un tour à la bibliothèque et zieuter les titres des derniers journaux français parvenus jusqu'ici, nous questionnons la femme de l'accueil. " - Excusez-moi, nous sommes de passage à Pondichéry pour quelques jours et souhaiterions discuter en français avec des étudiants indiens ? Hein ? Bah juste pour échanger avec eux, pour qu'ils pratiquent et parce que ça nous ferait plaisir... c'est possible ? ", " -Heu, dirigez vous vers le secrétariat à l'entrée, je pense qu'ils pourront vous renseigner." nous répond t-elle dans un français absolument parfait. Une fois au secrétariat, on nous dit " - Allez voir le bureau de la directrice en face du secrétariat. J'imagine que c'est possible. On vous dira comment faire ." Deux minutes plus tard, nous sommes dans le bureau climatisé et spacieux de la directrice. Un homme un peu en rentrait nous écoute. C'est d'ailleurs lui qui nous répond : " - Désolé les p'tits gars, c'est bien sympa de votre part mais les étudiants suivent un cursus pédagogique, il n'est pas possible d'organiser des rencontres en groupe avec des gens de passage." Bon, il a pas tort. Dommage. C'est vrai qu'en France, tout est cadré et toute initiative personnelle doit être confirmée, approuvée, validée, signée, blablabla... Tant pis pour nous. On nous redirige cependant vers le café de l'Alliance Française. Peut-être y trouveront-nous quelques indiens francophones là-bas ? En tout cas, le patio est encore une fois superbe.



Nous continuons notre promenade qui se révèle des plus agréables à mesure que la journée avance. Petit à petit, nous prenons conscience du mythe que représente Pondi pour beaucoup de français. Certains sont nostalgiques de la belle époque, celle où la ville était sous autorité française, prospère, puissante, influente, rayonnante. Qu'ils se rassurent, rayonnante, elle l'est toujours. À nos yeux tout du moins. Nous nous sentons presque à la maison. D'ailleurs, un petit encas s'impose. Il est presque 16h. Nous entrons dans une bou-lan-ge-rie (un peu chic, mais elles le sont toutes !).



À la sortie, nous croisons deux françaises qui nous apprennent qu'un Ashram est ouvert un peu plus loin. Bon, je ne suis pas un expert en la matière mais d'après ce que j'ai compris, un Ashram est un lieu de silence où il est possible de méditer de manière collective pour approcher le divin. " - On va faire le vide un instant ?" me questionne Fabien. Mon petit hochement de la tête lui signale que j'acquiesse volontiers. Surtout parce que nous devrions être à l'ombre et que l'endroit devrait se prêter à un petit roupillon, pensais-je. Nous arrivons devant le lieu-dit, un grand bâtiment gris et blanc. 



On nous fait retirer nos chaussures à l'entrée. "Photo interdite et smartphone éteint please" nous annonce le gardien. L'endroit est calme, apaisant, et particulièrement bien fleuri. Nous marchons le long d'un petit jardin puis arrivons dans un espace ouvert, ombragé par de grands arbres, et avec en son centre un bloc de marbre recouvert d'un lit de fleurs qui semble être le point de concentration des énergies. Plusieurs personnes, les jambes croisées, sont assises autour de ce bloc. On nous invite à faire de même. Quelle zénitude se dégage de l'endroit ! Le silence, à peine perturbé par les écureuils qui courent le long des branches, nous relaxe. On s'y sent bien... -Moments de méditation- En sortant, nous nous trouvons nez à nez avec la police locale qui a apparemment héritée du képi français. Gaaarde à vous !



Comment parler de Pondi sans mentionner l'anecdote qui nous est arrivée un soir où nous étions sur le point d'aller nous coucher, où tout semblait écrit, dîner, lecture, dodo... Nous sommes donc de retour à l'auberge après avoir pris un dîner composé d'idlis (sorte de galettes de riz avec sauce) et une part de cake en guise de dessert. Fatigués de la journée, l'heure de notre smartphone nous indique qu'il est encore tôt. "Et si on allait acheter une pastèque pour le p'tit-dej' de demain ?" balance sans grande conviction l'un d'entre nous. C'est pas une mauvaise idée ça. Sitôt dis, nous partons acheter ladite pastèque au marché qui se trouve à quelques encablures de notre auberge. Soudain, une musique très forte attire notre attention. Une musique très, très forte. On s'approche. Arrivés devant le bâtiment d'où sort la musique, on ne s'entend presque plus parler... mais pas besoin de parler pour remarquer le panneau "All Are Welcome" au-dessus du portail. Notre curiosité piquée au vif, nous décidons d'entrer.



A l'intérieur, beaucoup de monde, des ballons partout, des chaises orientées vers une scène, et sur cette même scène, un très beau couple qui se fait mitrailler par toutes sortes d'objectifs. Aucun doute possible, nous venons de débarquer au beau milieu d'un mariage hindou !



Je m'approche un peu pour avoir un meilleur angle. Mais, plus je m'approche, plus je sens que les regards se tournent vers nous. Je m'approche encore un peu. J'ai beau regarder le couple de mariés, j'aperçois bien du coin de l'oeil le photographe faire un volte-face pour m'envoyer une rafale de flashs en pleine tête. Des femmes se lèvent. Elles nous prennent alors les mains et nous invitent (nous poussent ?) à aller... sur scène ! Trop content et flatté, je monte les premières marches quand Fabien me glisse "- Atteeends, j'ai toujours la pastèque dans les mains moi !". J'explose de rire " - Pas grave ! Tu n'auras qu'à l'offrir à la mariée."



À la fin d'une séance photo particulièrement nourrie, le marié me dit quelque chose dans l'oreille. J'ai peine à entendre le son de sa voix à cause de la musique. Il a dû lire l'incompréhension sur mon visage car il se met aussitôt à bouger sa main devant la bouche comme pour nous inviter à dîner. Nous sommes toujours sur scène... comment lui expliquer que nous avons déjà mangé et décliner son offre devant tout le monde ?! Cinq minutes plus tard, nous voilà à l'étage, attablés à une longue table à côté d'inconnus, devant une feuille de banane copieusement servie !



Ne vous fiez pas à nos grands sourires sur la photo, nous sommes en train de nous demander comment nous allons avaler tout ça avec le ventre déjà plein ! Et cerise sur le gâteau, nous nous voyons offrir en partant une noix de coco chacun, fruit qui accompagnera également notre petit-dejeuner du lendemain.



Bref, vous l'aurez compris, entre sa beauté et les expériences qu'elle nous a offerts, Pondi nous a séduit !


- Fabien -


Mais outre l'ancien Comptoir français, une autre ville voisine, si on peut la qualifier ainsi, demande à être reconnue.


Depuis que la première pierre a été posée, Auroville attire la curiosité de milliers de visiteurs chaque année. Cette cité expérimentale créée par Sri Aurobindo et « La Mère » se définit comme la ville du futur, une ville qui abriterait un nouveau modèle de société où les Hommes, au-delà de leur nationalité, leur religion, leurs différences, vivraient en parfaite harmonie sous l'autorité de la Conscience Divine.



Non non, ce n'est pas le rêve de la nuit dernière. Ça n'en est pas moins inintéressant n'est-ce pas ? Bon, si vous voulez entrer avec moi dans la 4ème dimension, veuillez dès à présent ouvrir votre esprit (et vos chacras). Accrochez-vous, c'est parti !


Revenons tout d'abord aux prémices du concept. Février 1968, un certain Aurobindo Ghose (dit Sri Aurobindo), philosophe indien, et sa compagne spirituelle française Mirra Alfassa, (appelée « La Mère »),  posent les fondations du concept à travers une Charte : "Auroville n'appartient à personne en particulier. Elle appartient à toute l'Humanité. Mais pour y séjourner, il faut être le serviteur volontaire de la Conscience Divine."



47 ans après l'inauguration, c'est dans ce lieu hors du commun que nous débarquons en mobylette. La cité est vaste, étalée sur plus de 20km2, mais les touristes sont priés de se rendre au Centre des visiteurs.



Et oui, car tout le site n'est pas accessible et n'est pas citoyen d'Auroville qui veut ! Pour le devenir, il faut faire ses preuves pendant un an, recevoir un visa indien (on est en Inde quand même..) ainsi que posséder l'argent nécessaire pour vivre au moins un an sans être rémunéré pour son travail sur place. Autant dire que ce n'est pas donné à tout le monde !


Nous pénétrons donc dans la Matrice. À peine entrés que des explications précises sur l'architecture de la ville nous sont données. Nous nous attardons quelques minutes sur les schémas représentant la structure de la ville. Cette dernière, conçue par l'architecte français Roger Anger, devrait avoir la forme d'une galaxie une fois achevée. Tout un symbole ! La salle principale nous donne quant à elle quelques dates et chiffres-clés. Un en particulier retient notre attention : après les indiens eux-mêmes, les résidents sont en majorité français ! et certains sont ici depuis le commencement. Y-aurait-il un rapport avec mai 68 et les années hippies qui suivirent ? à creuser...


Dans tous les cas, ce sont plus de 2000 personnes de 50 nationalités différentes qui habitent le site et contribuent au développement de la cité, censée, au bout du compte, accueillir 55 000 personnes. Il reste donc beaucoup à faire mais les créateurs ont sans aucun doute penser à tout.


Je ne vais pas m'attarder sur son fonctionnement (aux intéressés de se renseigner) mais sachez tout de même que l'argent est banni à Auroville. Cependant, certains habitants dans le besoin vendent leurs propres oeuvres dans la boutique officielle. De véritables artisans et tout est « Made in Auroville » !



Retournons à nos moutons. Notre visite se poursuit par un court-métrage de 10 minutes (ici point de propagande version Scientologie, il s'agit uniquement de comprendre ce que nous allons découvrir) afin d'obtenir notre ticket pour l'attraction de cette visite : le fameux Matrimandir. Nous empruntons le chemin déjà tout tracé pour rejoindre "le centre gravitationnel" de la ville. Nous passons devant un arbre imposant assez unique dont les racines descendent vers le sol, un bagnan centenaire.



Selon la légende aurovilienne, « La Mère » aurait pointé du doigt l'arbre (sacré en Inde) sur une carte, déterminant ainsi la position du site au départ du projet. Décidément, rien est laissé au hasard !


Quelques centaines de pas plus loin, nous tombons finalement nez à nez avec le monument. C'est assez hallucinant, on se croirait sur une autre planète (ou dans une autre galaxie).



Cette grosse sphère composée d'alvéoles dorées est le coeur de la cité, destiné au silence et à la méditation. De magnifiques jardins verdoyants entourent la boule tandis qu'à gauche, nous apercevons l'amphithéâtre, place commune où se regroupe les habitants, un peu comme le forum en Grèce Antique pour le coté esthétique.


Nous restons un instant à regarder le paysage, tout en commençant à discuter du concept Auroville : "Un projet comme ça, c'est trop utopique dans le monde dans lequel on vit. Pour moi, ça n'ira jamais plus loin ou ça prendra 1000 ans.", lance un d'entre nous. "Attends mais tout grand bouleversement débute par une idée irréaliste au départ.", répond l'autre. Entre valeur de l'argent, modèles sociaux, en passant par la géopolitique, une longue conversation s'en suit jusqu'à la sortie du site.


- "Mec, ça te dirait pas plutôt d'aller piquer une tête à Aurobeach ?", me propose Thibaut, comme pour mettre un terme au débat. 


- "Bonne idée !"