- Thibaut -

 

"- Le bus n°916 vous amènera à la petite ville de Huairo, ensuite, il vous faudra attraper un taxi jusque Mutianyu, et enfin, vous prendrez un shuttle bus jusque la muraille" puis, devant nos grands yeux écarquillés, il s'empresse d'ajouter : "- Ne vous inquiétez pas, j'ai un joli petit carnet avec toutes les notes en chinois dont vous aurez besoin ! Avec lui, vous n'aurez aucun problème pour vous rendre à la Grande Muraille ". Ah ouf, notre charmant hôte pékinois a donc pensé à tout.


 

Selon lui, cette section de la Grande Muraille n'est pas la plus touristique et y aller par ses propres moyens fait économiser un petit paquet de yuans. Le rendez-vous est donc pris pour le lendemain. Inutile de vous dire que l'excitation grandit...


C'est parti ! Le trajet se passe sans encombre grâce à notre petit carnet fétiche. Nous choisissons cependant d'effectuer le dernier tronçon... à pied. La marche, c'est bon pour la santé, mais ça nous permet surtout de compenser le prix de la visite qui est trop souvent exorbitant en Chine pour les lieux touristiques. Et cette fois, nous n'avons qu'un petit sac pour deux avec une demi-bouteille d'eau, deux bananes et des galettes. C'est donc légers et joyeux que nous entamons cette portion.



Allez, ça commence à se corser. Après une légère grimpette de tout de même 45 minutes, nous arrivons au pied de la montagne, là où se fait le contrôle des tickets : c'est l'entrée du site. Les plus fortunés choisissent alors de rejoindre la Grande Muraille en téléphérique (hein ?! Mais ça commence à revenir cher tout ça !), quant à nous, nous optons pour de looongs escaliers mais avons-nous vraiment le choix ? Nous sentons que la muraille est proche... Des tronçons semblent se dessiner dans les hauteurs... Nous approchons du but. Mais d'abord, il fait en finir avec ce satané escalier interminable !



Et puis, nous longeons un mur haut d'une huitaine de mètres, tournons à droite, empruntons un escalier de pierre, passons sous un petit vestibule et ça y est ! Nous y sommes ! Nous sommes sur la Grande Muraille de Chine ! Quelle émotion ! Elle est magnifique, superbe, grandiose. Nous sommes littéralement conquit en un instant. Sur cette section, difficile de trouver un endroit où prendre une photo seul. Pas le choix que d'avoir quelqu'un derrière... La demoiselle en arrière plan nous demandera d'ailleurs 100 yuans pour être apparue sur notre photo haha ! Si nous avions pris ce tarif à chaque fois que nous avions posé en Inde pour des inconnus, nous serions déjà riches !



A droite, à gauche, la Grande Muraille s'étend à perte de vue. Je ne vous ferais pas un cours d'histoire sur celle que l'on surnomme en Chine le "dragon de 10.000 lis", mais sachez néanmoins qu'elle mesure près de 6.700km ponctués de forteresses, tours de guets, portes et passes en tout genre. D'après ce que nous avons pu entendre d'un guide de touristes français, elle serait également le plus grand cimetière du monde puisque plus d'un million d'ouvriers périrent pendant sa construction. Comment ont-ils fait pour réaliser la plus longue structure architecturale du monde sur des lignes de crête ? Aucune idée, mais on ne cesse d'admirer leur œuvre.



Nous nous trouvons non loin du débarcadère du téléphérique, ce qui explique le flux léger mais constant de touristes venus eux aussi appréciés la beauté des lieux. Nous décidons alors de nous enfoncer vers l'ouest le plus possible, afin de pouvoir peut-être nous retrouver seuls, et ressentir ce sentiment exquis d'être au milieu de quelque chose d'infiniment grand. À peine quelques centaines de mètres parcourus que se présente déjà la première difficulté : un nouvel escalier particulièrement long et pentu. De plus, les marches sont irrégulières, certaines toutes petites, d'autres très hautes. Bon, à priori ça devrait en décourager quelques uns.



Une fois en haut, nous poursuivons sur encore quelques kilomètres. À nouveau des escaliers, des tours de guets, des paysages plus photogéniques les uns que les autres. Nous n'arrivons pas à nous en lasser. La magie des lieux continue d'opérer d'autant plus que, plus nous nous éloignons, moins il y a de touristes. Tout au long du chemin, nous croisons quelques vendeurs de snacks et de souvenirs offrant également leur service de "photographe" contre quelques yuans... Ah, cette fois-ci, je crois bien que c'est le dernier !



Allez, allez, on ne s'arrête pas en si bon chemin. Nous sommes portés par une envie irrésistible de voir jusqu'où nous sommes capables d'aller sur cette journée. Je jette un coup d'oeil à l'heure. Il n'est pas tard, nous devrions avoir encore entre 3 et 4h de libre avant la fermeture du site. Au loin, la montagne semble être toujours plus haute et surmontée par une tourelle, mais la brume nous empêche de bien la voir distinctement. Nous voulons en avoir le cœur net, alors nous continuons. Soudain, au détour d'un virage, un panneau nous interdit d'aller plus loin... Zut alors !! C'est pas juste ! Et la tourelle là-haut ! On fait comment pour y aller ?!



Mais très vite, nous nous rendons compte que nous pestons... dans le vide ! Il n'y a plus personne depuis un petit moment déjà. On se dit alors que si c'était vraiment interdit, ils auraient certainement bloqué l'accès avec une vraie barrière. Avec ce petit panneau, c'est presque une invitation à continuer l'aventure pour ceux arrivés jusqu'ici. Bon ben, ni vus, ni connus, nous nous faufilons sur ce nouveau tronçon de la Grande Muraille. Finis les belles tours de guets restaurées et les remparts aux allées parfaites. Ici, les autorités n'ont pas encore mis la main à la pâte pour entretenir cette section. Résultat, les remparts se sont effondrés par endroit et la végétation a doucement repris ces droits avec parfois des arbres sur le chemin !



Nous marchons une petite heure supplémentaire. Il commence déjà à faire plus frais par ici. La tourelle qui semblait dominée la vallée se dessine de plus en plus. Nous approchons de notre but. Il y a maintenant bien longtemps que nous n'avons plus vu âme qui vive. Certains passages sont carrément délicats avec des trous béants où toute chute nous entrainerait 8m plus bas... Attention où l'on met les pieds ! Les tours de guets elles-mêmes semblent tenir debout comme par miracle tant les briques paraissent être en équilibre ou carrément sur le point de s'écrouler.



Nous passons avec précaution en dessous, en réveillant au passage quelques chauves-souris qui dormaient là tranquillement. Seuls les cris répétés d'un oiseau viennent troubler la tranquillité des lieux. L'ultime difficulté se présente alors à nos yeux : un nouvelle pente vertigineuse mais cette fois sans escaliers ! Le chemin est défoncé, des arbustes s'alignent le long du côté gauche et des graviers au centre. Nous allons donc vraisemblablement tenté d'escalader par la droite. Oui, escalader, c'est bien le mot ! Nous aurons besoin des deux pieds et des deux mains pour venir à bout de cette dernière portion. Une nouvelle fois, nous nous demandons comment les bâtisseurs ont-ils fait pour construire une structure aussi inclinée à cet endroit. Mieux vaut ne pas regarder en arrière !



À notre arrivée au sommet, nous nous sentons sur le toit de la muraille. Malheureusement, nous distinguons péniblement la vallée tant la brume est dense. Quelle dommage que celle-ci soit de la partie car nous devinons au loin les contours de nouvelles montagnes et apercevons ce qui semblent être la continuité de ce mur infini... Nous nous asseyons là, à discuter, à savourer l'instant présent tout en dégustant nos galettes favorites. Et puis, viens le temps de la photo. Je grimpe sur le seul muret de la tourelle encore debout et m'imagine cinq siècles plus tôt, en train de contempler l'horizon pour desceller une éventuelle attaque de mongols qui surgirait de nul part, alors que Fabien, plus posé et pragmatique, reste songeur à l'idée que quelqu'un ait pu un jour parcourir ces 6.700km à pied.



" - Regarde là-bas ! On dirait que ça bouge !" dis-je à mon compagnon au bout d'un petit moment. " - Si si, regarde bien, ils sont trois. Deux garçons et une fille ! Ils viennent dans notre direction ! " et Fabien de lancer un cri d'indien " - Hulululu !!". Son cri résonne en écho, porté par ce vent froid et sec qui, au passage, commence à nous frigorifier. " - Tu as entendu ?! Ils nous répondent ! ". Ils sont encore très loin, mais nous savons qu'ils viennent vers nous, et eux, qu'il est possible d'aller plus loin puisque nous y sommes. Finalement, nous prenons conscience que le soleil commence doucement à descendre et que nous avons une sacrée trotte pour retourner à l'entrée du site. Nous n'attendons donc pas nos visiteurs au sommet mais les croisons sur notre retour : une espagnole et deux colombiens. La fille, la plus courageuse, nous dit qu'elle veut elle aussi aller là-haut mais qu'il faut qu'elle motive ses deux camarades timorés et pas très enchantés à la vue de la fameuse pente vertigineuse qui les attend. " - Ne trainez pas trop si vous voulez être de retour avant la tombée de la nuit !" leur lance t-on, un poil préoccupés. Nous accélérons le pas. Le soleil couchant illumine cette fois la Grande Muraille d'un orange presque vif. Le couleurs sont superbes. Et en plus, il est tard. Nous sommes absolument seuls sur cette même portion où ce matin même, des dizaines de visiteurs se pressaient. Quelle spectacle merveilleux, elle est là, devant nos yeux, juste pour nos yeux, à dérouler son long ruban de remparts qui va se perdre aux confins du monde oriental. Nous sommes largement comblés, la Grande Muraille aura été à la hauteur de sa réputation.