- Fabien -


Nous nous dépêchons de trouver nos couchettes respectives pour ne pas être malmenés par la marée humaine qui déferle à bord. Thibaut est sur la couchette du haut, moi sur celle du bas.



Jusqu'ici tout va bien : Il est 23h30, le train part à l'heure (avec quelques minutes de retard, rien d'anormal) et nous sommes confortablement installés pour les 3 prochaines heures. Nous passons notre temps entre papoter, bouquiner et surtout dormir. En effet, le court séjour à Aurangabad a été assez intensif et ne nous a pas permis de bien récupérer.


Il est 1h40, je dors profondément...quand soudain Thibaut m'interpelle : "Mec, c'est notre arrêt !" Je me lève instinctivement sans vraiment comprendre ce qui se passe, agrippe le sac à dos et nous sortons en panique. Si vous prenez des trains longue distance en Inde, ne vous attendez pas à ce que quelque contrôleur ou employé passe dans les compartiments pour vous indiquer qu'il s'agit de votre arrêt et que vous devez gentiment descendre. Fiez-vous uniquement aux panneaux indiqués sur le quai, quitte à mettre pied à terre pendant 15 secondes.


Nous voici donc arrivés à Manmad Junction, notre gare de correspondance qui nous permettra de nous rendre dans l'État de Goa.

Agréablement surpris de voir que nous arrivons avec un quart d'heure d'avance, notre enthousiasme s'efface au fur et à mesure que nous découvrons les lieux. L'ambiance qui règne ici est glauque, très glauque. Une odeur pestilentielle flotte dans l'atmosphère et pour la première fois depuis le début de notre voyage, un sentiment d'insécurité nous anime. Nous rejoignons rapidement le bureau d'informations pour savoir quand arrive le prochain train. Sur le chemin, nous croisons des personnes mutilées ou estropiées mendiant auprès de chaque voyageur.

Un peu plus loin, des centaines de personnes sont entassées à même le sol dans les salles d'attente. Au bord des quais, d'autres encore, au visage noirci par la poussière et la saleté dorment presque dénudées malgré la nuit glaciale qu'ils devront passer. C'est choquant. Nous arrivons au bureau d'informations. Verdict : 4h30 de retard...nous devions patienter presque 3 heures pour la correspondance, nous voilà partis pour 7h30 d'attente dans une ambiance post-apocalyptique ! Arrivée du train prévue finalement à 8h40. Nous prenons en compte le précieux conseil que nous avait donné un indien quelques jours auparavant de ne pas sortir de la gare. Mieux vaut ne pas tenter le diable.


Nous nous enfonçons alors sur le quai où nous trouvons refuge sur un banc, à l'écart de la foule. "Thib',  tu peux dormir en premier, je surveille les sacs." Dans ces moments-là, voyager à deux est un sacré avantage. Je fais les cent pas sur le quai, entre surveillance des affaires et de mon compagnon emmitouflé dans son duvet.



Pendant ma ronde, des événements surréalistes s'enchaînent : des femmes urinent debout, des rats et des corbeaux s'affrontent pour s'approprier les restes de nourriture jetés sur les rails, des gens traversent le quai en hurlant. Et il n'est que 3h du matin...


Un peu plus tard dans la nuit, je pars jeter un coup d'œil au panneau d'affichage pour vérifier de nouveau l'heure d'arrivée de notre train. Surprise ! 1h30 de retard supplémentaire, le cauchemar continue ! Je passe le temps comme je peux avant de réveiller Thibaut, qui n'a pas vraiment réussi à fermer l'oeil sur le bloc en béton qui nous sert de lit. Il est 5h30, je m'engouffre à mon tour dans mon duvet pour tenter de trouver le sommeil.



Ce n'est qu'au lever du soleil que nous comprenons la nature du lieu dans lequel nous nous sommes retrouvés : la gare est située en plein milieu d'un bidonville. L'extrême pauvreté et la misère s'accaparent l'endroit le temps d'une nuit.



Heureusement, les choses redeviennent un peu moins désagréables au petit matin lorsque les voyageurs et commerçants inondent de nouveau la gare.


Après plus de 10h d'attente interminables et presque 7h30 de retard au total, le train arrive enfin ! Il est 11h30 !


- Thibaut -


Nous montons donc à bord du train n°12618 en direction du sud du pays, épuisés, sales et affamés. J'entre en premier. "- Fabien, on a quelles places déjà ?", "- 26 et 27 mec", "- heu, t'es sûr ? Parce que là, y'a 6 personnes assises sur nos banquettes en train de jouer aux cartes. Je fais quoi ? Je pète mon câble ?", "- Pfffff, et dire qu'on a pas encore fait la moitié du voyage, et ça continue... Vas-y mollo Thibaut". Je respire un bon coup et tente la voie de la diplomatie. Un seul des passagers parle anglais. Il nous dit de prendre leurs places en 43, 44. "- Pas si vite coco, OK, mais tu nous y amènes pour vérifier ensemble que ces places sont effectivement libres, et bien les tiennes." Et bingo, les places de ce passager sont également prises. Beaucoup de gens voyagent sans réservations en Inde. Du coup, il y a du monde partout, entre les rangées, dans les allées, sur les marches etc... Finalement, on prendra les banquettes de deux autres passagers. Un mal pour un bien car nous nous installons sur les banquettes du 2ème étage, un peu épargnées par le tumulte incessant du rez-de-chaussé. Complètement KO, nous tombons de sommeil tous les deux. Il est midi. 



Deux heures plus tard, j'ouvre l'oeil. "- Hey, tu as dormi un peu toi ?", "- Ouais, ça va. Mais je commence à avoir chaud là. Il est quelle heure ?", "- À peine 14h. En d'autres termes, il nous reste encore 13h de train, easyyy !", " - Bon on fait quoi ? On écrit pour le blog dans les notes du téléphone ?". C'est ainsi que sont nées les lignes de l'article précédent.



Puis on se rendort. On écoute de la musique. On somnole. On lit. Je ne tiens plus, il faut que je descende de mon perchoir. Je saute et atterrit au milieu du groupe du dessous, deux couples d'Indiens d'un certain âge. Je lance un timide hello en guise de prise de contact. Zut, leur anglais n'est vraiment pas génial. J'essaie alors de leur parler avec le guide du routard à la main pour leur montrer les cartes de l'Inde, savoir d'où ils viennent et où ils vont. J'apprends qu'ils viennent de Delhi, à plus de 45h de train ! Je relativise d'un coup notre situation. En fait, on est pas si mal. 

A chaque arrêt, le train est envahi par les vendeurs ambulants. C'est la guerre entre eux. Chacun crie ce qu'il vend et nous avons l'impression que c'est à celui qui criera le plus fort. Chaque wagon devient alors un mini-marché. Malgré l'offre conséquente de nourriture bon marché, nous préfèrons ne rien manger... par peur de l'état des toilettes du train ahah !



Il fait de plus en plus chaud. Les ventilateurs tournent à fond. "- Fabien, ça te dit une séance photo à la porte du wagon en marche ? Ça peut être fun !".



Un peu plus tard, un passager passe dans les couloirs pour faire signer une pétition contre les mauvaises conditions de voyage. En plus de l'énorme retard, il nous explique que l'eau ne fonctionne pas dans les toilettes, qu'ils doivent sans cesse remplir un sceau d'eau au robinet pour la chasse d'eau et d'autres détails que nous ne comprenons pas bien. Bref, nous sommes avec vous les gars !



Il est 18h. Près de la porte du wagon, je fais la rencontre de Fazil, un nouveau grand fan de Zidane. Lui aussi vient de Delhi, où il a visité le célèbre Taj Mahal avec sa classe. Je lui propose de se joindre à notre perchoir pour discuter un peu. Nous parlons de tout, études, sports, religion. La religion est un thème assez récurrent. "- Vous êtes de quelle religion ?", nous demande t-il à un moment. "- Heu... catholiques car baptisés mais athées de croyance." lui répond innocemment Fabien. Fazil hurle alors un " Whaaaat ?!?! How is that possible to not have a god !!!!" Oops, s'ensuit une discussion où nous ne nous comprenons plus. La religion est omniprésente dans sa vie et semble le guider. Nous avons beau lui dire que nous sommes différents, il n'en revient pas.


20h, certains passagers se mettent à chanter, à taper dans les mains ou sur des sceaux. Le trajet est encore plus long pour eux. La plupart étaient déjà là quand nous sommes montés dans le train. Pour info, d'un bout à l'autre de la ligne, ce ne sont pas loin de 3600 km ! 



Je me retourne vers Fabien et lui dit : "- On les rejoint ?!". Ni une, ni deux, nous nous installons au milieu des indiens dans un compartiment improvisé en salle de chant. L'ambiance est géniale. Clap, clap, clap, nous rythmons nos clapes de mains sur leurs chansons. Et puis, en moins de temps qu'il en faut pour dire ouf, nous voilà avec des smartphones, caméras et  appareils photos braqués sur nous avec notre ami Fazil nous annonçant "Maintenant, votre tour !".  Nous nous regardons... Pas question de se dégonfler. "- On leur fait quelques chansons paillardes avec jeux de mains ?" me sort Fabien. "- Excellente idée mon pote !". C'est parti pour l'un de nos meilleurs moments jusqu'à présent avec les indiens, un moment où l'on partage, où l'on rit, où l'on s'applaudit, où l'on se sent bien tout simplement !