- Thibaut -


"Seeerrez-vous sur le baaanc là !!!" hurle soudain le contrôleur de tickets de la camionnette-taxi (sorte de minibus local) qui doit nous emmener dans le sud de Mandalay, deuxième ville du pays. Bon j'avoue, je ne suis pas tout à fait sûr qu'il ait dit cela mots pour mots ; le type a parlé en birman et je n'ai absolument rien compris mais quand tout le monde a bougé son popotin pour se resserrer et que j'ai vu arrivé 8 personnes prêtes à grimper avec nous, plus besoin de parler la langue pour deviner le sens des mots. Nous partons donc paquetés comme des sardines vers la périphérie de la ville afin de pouvoir commencer tranquillement le stop sans se faire alpaguer par toutes sortes taxis, moto-taxis, vélo-taxis. 



Mais, à 4 km de notre point de chute, le même type descend nos bagages du toit et nous annonce que nous sommes arrivés... Hein ??! Quoi ?!! Mais non, on veut rester nous !!! Impossible de lui faire comprendre... Bon, je reviens sur ce que je viens de dire : parfois, c'est quand même mieux de parler la langue ahah !! Alors, nous finissons la dernière portion à pied, sac sur le dos. Ça pèse et les rayons du soleil commencent à chauffer ! Il va bientôt falloir sortir les chapeaux !



La marche se passe sans encombre. Je m'arrête juste une minute le temps de racheter un peu d'eau. Aujourd'hui, nous avons prévu de rallier le Royaume de Bagan en auto-stop. C'est d'ailleurs la première fois que nous tentons une si longue distance en stop au Myanmar. D'habitude, les touristes font ce trajet en bateau, mais pas de bol pour nous, il n'y avait pas de départ prévu ce jour. Et puis, pas besoin de se le cacher, le stop, nous adorons ! Nous arrivons donc vers 9h à l'endroit rêvé pour commencer notre petite expédition, le début de la nouvelle autoroute flambant neuve qui ressemble à si méprendre à une énorme piste d'avion. Une borne plantée sur le bas-côté nous apprend que nous nous trouvons exactement à 366 miles de l'ancienne capitale, Yangon. Allez, une petite photo s'impose ;)



15 minutes s'écoulent. Nous voyons passer 2 cars, 4 taxis, 1 minibus et 1 voiture particulière... c'est pas censé être une autoroute ici ?! La réussite ayant souvent été de notre côté jusqu'à présent, nous commençons à nous interroger. " - Au pire, me dit Fabien, si on est toujours là en début d'après-midi, on chope un bus pour la gare des trains de Mandalay et on va à Bagan en train." Je reste songeur... ce plan B est en effet la meilleure solution alternative mais je ne veux pas encore y penser. Nous regardons l'horizon, bras tendus et pouces levés vers le très maigre flux des voitures. Un pickup s'approche. " - Où allez-vous ?! " lui lance Fabien à travers la vitre. " - Airport ! " lui répond le chauffeur. Je consulte rapidos ma carte. Hummm, moui, c'est pas trop mal. Ça nous avance de 15 miles dans la bonne direction. Nous sautons à l'arrière du véhicule pour nous retrouver au milieu d'énormes bidons d'eau et de lait. Le type se met à rouler pied au plancher et le paysage défile à toute vitesse. Impossible pour moi de regarder quoique ce soit car mes cheveux viennent carrément me fouetter les yeux.



Comme prévu, le chauffeur s'arrête au croisement où nos chemins se séparent. Il plonge alors un grand verre dans l'un des bidons de lait et nous l'offre gentiment. Sluuurp, c'est bon ! Nous continuons près d'une heure avec un autre véhicule pour rejoindre l'intersection entre l'autoroute et une petite route annexe qui part en direction de Bagan. C'est bien cette petite route que nous devons prendre. Nous sommes littéralement au milieu de nulle part. Une chaussée étroite, du sable, quelques arbres qui bordent la route, et un paysan avec sa charrette. Pas de chance, on veut aller dans l'autre sens !!



Le soleil est quasiment à notre perpendiculaire mais l'arbre sous lequel nous sommes abrités nous permet de ne pas trop souffrir de la chaleur. Pas un bruit. De temps à autre, le vent soulève du sable qui vient tournoyer autour de nous. Le temps passe... et rien ne passe. Notre réserve d'eau diminue. Avec un litre pour deux, c'est vrai que nous aurions pu être plus prévoyants. Alors que nous nous remettons à marcher pour tenter de gagner un hypothétique village un peu plus loin, un nuage de sable apparait à l'horizon. On dirait un pickup qui vient dans notre direction. Bingo ! Il s'arrête. L'arrière étant cette fois-ci bâché, nous ne voyons pas ce qu'il transporte. Son itinéraire colle au nôtre sur environ 2h30 de trajet, génial ! Nous faisons le tour du véhicule pour grimper une nouvelle fois à l'arrière. " - Hellooo guyyys !" nous lance en même temps trois jolis filles déjà installées. Nous nous regardons avec Fabien un sourire aux lèvres, ça valait le coup d'attendre non ?! Elles travaillent dans la cosmétique et doivent assurer une tournée de plusieurs jours pour promouvoir un nouveau produit. Quant à leur anglais, il n'est vraiment pas très bon, mais grâce aux expressions du visage, aux mains, à la musique, nous arrivons à communiquer et nous nous marrons avec elles pendant tout le trajet. 



Nous n'avons toujours pas mangé. Heureusement, le patron des filles nous a cette-fois-ci déposés dans une petite ville. Nous choisissons de nous restaurer dans un stand de rue, près de la grande route. Les gens autour de nous semblent avoir littéralement bloquer sur notre présence parmI eux. Ils ne nous parlent pas mais leurs yeux grands écarquillés parlent pour eux. Nous tentons de leur expliquer que nous faisons du stop pour nous rendre à Bagan, eux, ne cessent de nous répéter qu'il faut prendre un bus ou un taxi. Parmi eux, un vieil homme de 93 ans, à l'anglais impeccable, tenant tout juste debout mais qui fait l'effort pour venir échanger quelques mots avec les étrangers que nous sommes. Il nous explique avoir travailler au gouvernement il y a 60 ans d'où son aisance en anglais. Nous sommes impressionnés par son parcours et lui vraisemblablement ravi d'avoir pu discuter en anglais. Mais le temps passe, il nous faut déjà repartir. Rassasiés de deux bols de noodles chacun, nous nous mettons à marcher en direction de la sortie de la ville. Nous n'avons pas fait un kilomètre qu'un nouveau pickup s'arrête brutalement, 50m devant nous. Une main passe par la fenêtre du passager et désigne l'arrière du véhicule comme pour nous inviter à monter. " - Mais, on a même pas encore commencer à lever le pouce ! Incroyable !" Nous courons et balançons nos sacs à l'arrière. Le passager court lui acheter deux bouteilles d'eau dans un petit stand sur le bas-côté, puis nous rejoins, et nous partons. 



Il travaille dans le transport de ventilations automobile et se rend à Pakokku, non loin de Bagan. Plus nous avançons, plus le paysage devient désertique. Les champs laissent place progressivement à de vastes étendues de sable. Pourtant, même dans ces endroits reculés et arides, nous notons la présence d'individus regroupés sous des abris de fortune. Que font-ils là, nous ne le saurons pas...



Il fait de plus en plus chaud. L'air nous brûle presque les yeux. " -Tenez, les bouteilles d'eau sont pour vous ! Buvez !" nous annonce notre compagnon de route. Il a donc pensé à nous dès le début. J'attrape aussitôt mon gros sac et en sort un paquet d'arlequins gentiment envoyé par ma maman quelques semaines plus tôt. " - Servez-vous ! Ça vient de France !" Nous n'avons rien à lui offrir, si ce n'est ces quelques bonbons que nous distribuons aux gens croisant notre chemin. Quelques kilomètres plus loin, le pickup s'arrête. C'est là qu'ils doivent tourner. Il nous faut quant à nous continuer tout droit : encore 13 miles !



Le conducteur et le passager nous sommes de ne pas descendre. " - Heiiin ?! Mais mais..." bredouillons-nous." - On va vous déposer à Bagan, nous interrompt l'un deux. Il fait trop chaud pour vous à cette heure-ci et c'est encore loin. Et puis, on aime bien votre compagnie. À deux, on s'ennuie !" Ça alors. Nous protestons mais rien n'y fait. Nous arrivons à Bagan en un temps record. En entrant dans la ville, notre compagnon nous lance " - Couchez-vous, vite !" Sans comprendre, nous nous exécutons. Voyant notre regard interrogateur, il nous dit fièrement " - Pour entrer dans Bagan, les étrangers doivent payer 20$ par personne au poste de contrôle que nous venons tout juste de dépasser. Et... vous venez de les économiser !" et il se met à rire, et nous rions avec lui. Nous les quittons quelques minutes plus tard en les remerciant chaudement. C'était eux, deux frères, merci les gars !



- Fabien -


Il est 4h45, le coq qui me sert de réveil hurle à travers le microphone de mon portable. Je suis comme paralysé dans mon lit, la fatigue de la journée en autostop m'empêche de bouger le moindre petit doigt. Je retarde le réveil de 5 minutes...et 5 minutes encore...Allez, il est l'heure de se motiver, le lever de soleil depuis les marches du temple Bulethi nous attend.


Nous enfourchons nos vélos, notre moyen de locomotion du jour pour découvrir les 42 km2 du site archéologique qui se donnent à nous. Thibaut et sa lampe frontale font office d'éclaireur sur les routes sombres qui mènent au temple. Au moins, l'air qui caresse nos visages est encore doux. Car il parait qu'il fait chaud à Bagan à cette période, très chaud. D'après les locaux eux-mêmes, il vaut mieux suspendre les visites en début d'après-midi, au risque de finir sur le grill. Bon, on verra plus tard, nos chapeaux birmans nous ont tout de même bien aidé pendant le trek.


Nous nous embourbons quelque peu sur un dernier chemin ensablé avant d'arriver à destination. Nous prenons place parmi les quelques touristes déjà présents pour admirer le panorama. Il est encore tôt mais la vue, malgré la hauteur négligeable du temple, est imparable.



À 360°, on observe des centaines de temples, pagodes et stûpas à l'horizon, dans la brume matinale qui recouvre la vallée. Le soleil n'est pas encore au rendez-vous que Bagan nous mystifie, nous envoûte.


D'après ce que nous avons pu lire, le site serait composé de plus de 4000 monuments, datant du XIè au XIIIè s. Heureusement, nous nous sommes concoctés un petit parcours pour éviter de perdre la tête devant tant de beauté. Pas folle la guêpe !


Ah, ça y est ! le soleil a fini par se lever lui aussi.


Sous les montgolfières venues clouées le spectacle, nous partons à l'assaut de deux autres merveilles historiques.


Nous nous arrêtons un instant dans la pagode Shwezigon, la plus vénérée du site par nos amis les bouddhistes. Selon la légende, elle abriterait rien de moins qu'un os frontal du Bouddha lui-même, ainsi qu'une réplique d'une de ses dents. Il est encore tôt que déjà de nombreux touristes, essentiellement birmans, s'attroupent pour déposer quelques feuilles d'or sur la base de cet édifice vieux de presque 1000 ans. Au vue de la dorure omniprésente sur le monument, il n'est pas difficile d'imaginer que ce geste traditionnel se fait depuis des générations. D'ailleurs, elle ressemble étrangement à la pagode Shwedagon de Yangon, version miniature.



8h15, nous commençons à être affamés. Nous retournons à l'hôtel pour profiter d'un petit déjeuner...pantagruélique ! Après avoir rappelé trois fois le serveur pour satisfaire notre appétit, ce sont au total 21 toasts de beurre et confiture de fraise, 4 bananes et 2 cafetières complètes que nous ingurgitons sans sourciller. Au moins, on ne devrait avoir aucun problème pour tenir jusqu'au repas du midi. Allez, une dernière tartine et ça repart !



Nous prenons la direction du temple d'Ananda, le plus célèbre. Oui car chaque édifice a son superlatif ici : le plus haut, le plus imposant, le plus...pyramidale ?! Il faut dire que l'endroit en regorge tellement qu'il faut bien les distinguer. Et ce n'est pas volé !


Chose assez surprenante, ce temple renferme plusieurs bouddhas en or haut de 9 mètres, dont l'expression du visage change selon la distance à laquelle on se situe. De loin, le colosse semble nous esquisser un sourire, mais, plus on s'en rapproche, plus il prend un air grave et sérieux. On ne sait pas trop comment l'interpréter...



Nous continuons notre visite à l'intérieur des murs de Old Bagan pour faire le tour des plus beaux édifices.


L'horloge tourne et, malheureusement pour nous, le soleil au zénith a fini de nous épargner. Sous 40° à l'ombre, nous nous enfonçons dans des routes supposées raccourcir la distance qui nous sépare du prochain temple mais, à travers le sable, nous obligent à donner deux coups de pédales au lieu d'un. Gardons le sourire !



Telles des éponges asséchées, nous atteignons le temple avec seulement deux minuscules gorgées d'eau dans notre bouteille. Vient alors le dilemme...que fait-on?


Motivé, je propose alors à mon compagnon trempé jusqu'aux os :

- "On monte les marches ?, la vue a l'air sympa d'en haut".

- "OK vas-y, mais après on retourne à la pagode remplir la bouteille", me répond-il assoiffé.


On se précipite donc vers l'entrée. Il faut savoir que l'accès à tous les lieux bouddhiques de Bagan se fait obligatoirement...pieds nus ! Le pavé brûlant, nous mettons 10 minutes à monter la petite centaine de marches. On sautille, on soulage nos voutes plantaires comme on peut, en se jetant dans chaque zone d'ombres à notre portée. Finalement, ces quelques minutes de souffrance ont du bon. Le sommet nous gratifie d'un panorama incroyable sur des centaines d'édifices, toutes tailles et formes confondues. Comme un mirage dans le désert, la chaleur rend le paysage irréaliste.



Nous voulons de l'eau, de l'eauuu ! Direction le QG, la pagode Ananda. Le container d'eau en libre service nous permet de nous réhydrater constamment et gratuitement. D'ailleurs, on y repassera trois fois dans la journée.


Les bouteilles pleines, nous prenons la direction d'un petit village isolé au Sud-Est du site pour reprendre des forces. Le chemin est long, mal indiqué, et, malgré le petit déjeuner qui n'avait vraiment rien de petit, nos jambes deviennent de plus en plus lourdes sous la chaleur.


Après quelques coups de pédales forcés, nous arrivons dans ce qui semble être un village hors du temps. Notre curiosité et appétit dépassant notre fatigue, nous effectuons un petit tour. Autour de nous, seuls des maisons en bambous au toit de chaume. Le temps semble s'être arrêté à la période paléolithique ici. Même les villages visités pendant le trek semblent "modernes" à coté. (Pas de photo cette fois-ci...désolé !)

Mais paradoxalement, les deux seuls restaurants disponibles sont hors de prix...


Il est déjà 15h, pas le temps de tergiverser. Nous retournons illico presto près de l'hôtel pour nous restaurer et nous reposer une bonne heure.


On s'attarde un peu au fond du lit. Il va falloir tout donner pour ne pas manquer le coucher de soleil. 10 minutes chrono en main, nous arrivons au sommet du temple. Nous gardons quelques clichés en mémoire (et dans l'appareil photo) avant que le soleil ne disparaisse derrière la brume grisâtre, la même qui rend le crépuscule si mystérieux.



Nous lachons finalement nos vélos, après avoir parcouru approximativement 35 km, sur les routes goudronnées et ensablées de la région. Nos estomacs nous ordonnent qu'il est l'heure d'aller dîner.


La petite pépite de restaurant dénichée hier soir étant fermée, nous errons dans les rues poussiéreuses et mal éclairées de Nyaung Oo, fatigués et sans conviction. Dans un coin, nous repérons une sorte de petite cantine qui ne paie pas de mine.


- "Vous avez du riz? Des légumes ? Pas de viande svp."

- "Oui oui"

- "C'est combien?", demande-t-on, s'attendant au pire sur le prix.

- "500 kyats", nous répond-elle d'un geste de la main.


Ouf, on va pouvoir manger ! Il était moins une. A peine installés que nous voyons défilés, outre notre assiette de riz, toute une série de bols de légumes. En tout et pour tout, ce ne sont pas moins de 14 plats qui remplissent la table. C'est le fameux buffet birman que nous n'avions pas encore eu le plaisir de déguster. C'est un véritable festin !



Nous rentrons à l'hôtel, tout sourire, après cette journée riche en émotions. Vous l'aurez compris, Bagan ne nous a pas laissé sur notre faim.